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Paris, de moi à toi
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9 janvier 2013

Ère conditionnée : CHAPITRE 14

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 CHAPITRE 15

Je ne supporte plus


Le 9 avril de l'année passée, je quitte mon soi-disant patron et mon bourreau. Et comme d'habitude, j'ai fini le travail à 19 heures. J'ai trimé comme un esclave avec un ami dans ma situation. Nous étions épuisés et déphasés par la noirceur du travail. Même la personne qui m'hébergeait ne s'empêchait de me rappeler ce que j'étais, un clandestin ! Une fois, elle me demanda de trouver un travail au noir pour le frère de son amie. La dame me parlait comme si je faisais partie du milieu. J'avais l'impression d'être un gangster, un malfrat et un criminel. Une autre fois, la dame me demanda de ne pas porter une casquette parce que ça pouvait attirer l'attention des policiers. À nouveau, elle me demanda de ne plus porter la serviette d'un ordinateur portable vide que j'avais ramassée sur le trottoir.

– Comme c'est la période des élections présidentielles, méfie-toi, ils peuvent t'arrêter pour un contrôle de papier et te demander où est l'ordinateur portable de la sacoche ? me dit-elle.

Je détestais toutes les occasions où elle évoquait ma clandestinité. Certains prétendront que la dame s'inquiétait pour moi. En France, personne ne pense aux misérables et aux autres. Mon bourreau aussi se préoccupait de ma santé. Dès que j'avais un rhume, il m'apportait des médicaments. Mon soi-disant patron refusait de me voir malade. Comme j'étais devenu son bras droit et que je gérais le travail pendant son absence, il était exclu pour lui que je m'absente. J'ignorais complètement qu'il existait des hommes et des femmes atteints de maladies mentales en France. Les clandestins ne sont pas victimes de violence physique, mais plutôt d'une violence psychique et morale. L'érosion se fait petit à petit de l’intérieur. À force d'être harcelés, agressés et maltraités, les clandestins vidés deviennent agressifs.

J'étais terrorisé par le comportement de ces immigrés. Mon bourreau me gavait pour mieux m'exploiter et ma logeuse me harcelait avec ses recommandations. Mon soi-disant patron me traitait comme un esclave et la dame me traitait comme un gamin. En France, j'ai appris que vivre chez son voisin n'était pas un luxe. L'insupportable était d'entendre les immigrés me parler de propreté. Ces étrangers que les Français traitent de sales Arabes voulaient m'infliger le même traitement. Les mêmes immigrés qui se plaignent de discrimination raciale, osent me traiter de sale Blédard. Ces immigrés qui prétendent souffrir du regard des Français, n’hésitent pas à nous maltraiter. Ces habitants des cités jettent leurs sacs d'ordures par terre et ignorent les simples règles du tri des déchets ménagers. En plus de l'odeur insupportable, il y a des cafards chez eux. Ces étrangers qui font du troc, se gavent de Grec et s’approvisionnent chez les restos de Coluche osent me traiter de clandestin. L’insupportable est que ces immigrés ne parlent pas de propreté ni d’hygiène. Ignorent-ils que les Blédards sont des musulmans ? L’hygiène, nous la connaissions avant eux et avant Pasteur. Une fois, ma logeuse me réprimandait comme un gosse parce que j’avais jeté le sac d’ordures par terre. J’avais pourtant fait comme que la plupart de ses voisins immigrés. Elle craignait que l'agent responsable de la propreté du quartier ne trouve son adresse en cherchant dans le sac d’ordures. Chercher dans le sac de merde ? ! En réalité, la dame n'avait pas tort. Les Français étaient capables de tout. Les détectives privés et les paparazzis cherchent aussi des indices dans les poubelles. Et ne soyez pas étonnés de voir un Parisien en costard cravate ramasser un journal dans une poubelle. L'important à retenir est que les Français et les immigrés se préoccupent plus de leur argent que de la propreté. L'essentiel pour eux c'est de ne pas payer une amende. Ma logeuse avait peur d’être sanctionnée.

Au fur et à mesure que les jours passaient, je ne supportais plus le verbiage des immigrés, surtout parce que je n'avais pas l'occasion de me défendre. La dame ne m'hébergeait pas pour mes beaux yeux. Je devais lui payer chaque mois 250 euros. Je me tuais au travail afin de payer mon loyer. Les immigrés légaux que défend Monsieur Hortefeux n’hésitent pas gagner de l’argent illégalement. Quand je racontais mes déboires à mon soi-disant patron et mes aversions envers mon hôtesse, mon bourreau ne s'attardait pas à proposer une solution de logement. Comme cet immigré possédait un dépôt hors Paris et coupé de tout moyen de transport, il me demanda d'habiter cet endroit inhabitable, qu'il allait aménager en y installant de l'électricité et de l'eau. Pour mieux me convaincre, il m'expliqua que je n'avais rien à payer. Mon bourreau me parlait toujours d'un certain Monsieur E, qui travaillait pour lui. Il l'évoquait toujours avec un grand regret. Tant que le clandestin travaillait jour et nuit, pour cet immigré légal, mon bourreau me parlait de Monsieur E en m'inventant à suivre son exemple. Je refusais instinctivement de travailler au noir toute ma vie. Je ne suis pas allé à l'école pour me faire exploiter jusqu'à la moelle épinière. Mon soi-disant patron croyait vraiment qu'il m'avait dompté et que je lui appartenais, parce que je revenais toujours vers lui, comme un toxicomane vers son dealer. Mon bourreau savait que je n'avais pas le choix. Mon Dieu ! Ce matin, j'étais très irrité et très en colère contre lui. J'avais la nette impression d'être déporté vers une époque révolue. Je ne supportais pas de me voir réduit à un outil de travail, un objet et un moyen que les autres utilisent pour amasser de l'argent sans payer des impôts. Comme je ne supportais plus de mentir à cause de la situation qui m'obligeait à le faire, ma réponse était immédiate et très sèche :

– Je ne vais pas te dire que je vais y réfléchir. Non ! Je refuse d'habiter dans cet horrible dépôt coupé du monde.

Mon bourreau était surpris de me voir refuser sa proposition. Il ignorait totalement que j’en avais marre de mentir. La clandestinité nous obligeait à mentir, à vivre sous des faux prénoms et à donner de fausses informations. Mon Dieu ! Toute ma vie, j'ai marché dans le droit chemin. J'étais toujours nickel et j'ai toujours évité les embrouilles. J'essayais de me préserver et d’éviter ceux qui étaient dans le côté obscur. Sans me vanter, j'ai lutté pour rester un honnête homme dans un monde corrompu. Quelle est ma récompense ? La clandestinité. Par instinct de survie, je dois fuir chaque fois que le cercle se resserre autour de moi. Je me souviens très bien des insupportables angoisses et de mes peurs durant le premier tour et au second tour. Le triomphe de Monsieur Sarkozy signifiait à mes yeux la fin de tout.

L'année 2007 fut la plus longue année. Une année marquée par le stress, l'angoisse et beaucoup de déceptions. J'ai rasé mes illusions et j'étais forcé d'affronter la réalité en essayant d'accepter la vraie réalité de la France. Au plain cœur de Paris, j'avais une vision globale sur le quotidien des Français. À l'intérieur de la cité interdite, je pouvais avoir une idée approchée de la réalité des Français. Hélas, je n'imaginais pas qu'il y avait autant de misérables en France. Et dire que les Français laissent entendre que les pauvres n'existent qu'en Afrique. Paris ! Paris ! Paris ! La plus belle ville au monde est infestée de vieilles gares ternes et rouillées. Les métros datent de la guerre froide et les trains sont bons à être remisés aux musées. Quand il pleut, l'eau coule des toitures fêlées des stations de métro, laissant parfois paraître des taches de moisissures sur les plafonds. Les trottoirs sont remplis de SDF et de pigeons. À part quelques rares beaux arrondissements parisiens, les autres quartiers sont sales et les façades défigurées par les tags. Le luxe et la beauté sont réservés aux touristes et aux riches. Les Parisiens pauvres sont tassés avec les immigrés dans des réserves.

Je croyais vraiment, que la France était le pays de la fraternité et de l'égalité, alors que la plupart les immigrés sont réunis dans des zones, séparés des Blancs concentrés dans de soi-disant arrondissements.

Je sais que nous demandions beaucoup aux Français, alors qu’il faut du temps pour chacun d’accepter l'autre. Je suis aussi conscient du poids que supporte le Français par rapport à son passé et à son histoire. Comme lui, je ne supporte plus mon passé et mes souvenirs. Je ne supporte plus de me voir me battre contre mon père. Un pauvre père qui n'arrivait pas à subvenir aux besoins d'une famille nombreuse. Il se plaignait de moi aux voisins comme, si j'étais Georgio le fils maudit. Il voulait que je partage avec lui mon salaire mensuel, alors que je voulais économiser et convertir mes dinars en francs français. Je voulais partir et il me demandait de rester. Face à tous mes sacrifices, certains salauds français ne se privent pas de me demander de rentrer chez moi. Pourquoi rentrer ? Renter pour trouver des fantômes et me souvenir de ce père que j’avais raté ? L'instant magique, je l'avais déjà perdu. Je l'ai renié parce qu'il était contre mes convictions. La même situation se répétait avec mon grand frère. Mon pauvre frère, comme notre défunt père, était aussi devenu l'otage du système politique algérien. Les politiciens se servent d'eux à chaque élection pour récolter des voix et les oublient aussitôt. Mon frère s'opposa à son tour à mon obsession d'aller en France, après les refus de visas que j'avais accumulés. Personne ne voulait comprendre que mon projet venait de mes 20 ans. Opiniâtre, je n'étais pas résolu à renoncer à mon objectif. Jamais je ne me pardonnerai ma haute trahison envers ma très chère grand-mère. Une femme qui m'a donné une provision inépuisable d’amour ! Elle était si parfaite qu'elle rendait Dieu presque jaloux d’elle. J'adorais cette femme plus que je ne vénérais Notre Seigneur. Je devine déjà le brouhaha que feront les fidèles frères qui se diront offusqués par mes propos, alors qu’ils sachent que c'est aussi mon Dieu et que je lui dois ma franchise. J’ai le droit d’être fasciné parce celle qui m’a façonné depuis que je suis né. Et Dieu ne peut qu’approuver mon amour, puisque la parfaite générosité de ma grand-mère m'a amené à l’aimer. Ma mémoire est truffée par les gestes et les dons de ma très chère défunte. Mais à cause de ce fou rêve, je n'étais pas digne du bien qu'elle m'a fait. Je l'ai trahie et je ne supporte plus cette culpabilité. Je ne supporte plus le poids de mon crime et contre qui ? Contre la grande femme qui m'a aimé sans rien attendre en retour.

Et aujourd'hui quelques Français se permettent de me demander de quitter la France. Ils se moquent de ce mal sous-jacent qui me ronge de l’intérieur. Mon mal n’est pas la marque d’une blessure de guerre. Ma grand-mère est morte pauvre et ses richesses sont exploitées par son unique sœur. Morte pauvre comme la plupart des membres de ma famille. Malheureusement l'Algérie, la louve debout sur ses quatre pattes n’offre ses mamelles qu’aux enfants girafes !

Ma grand-mère est partie ensevelie dans un linceul blanc sans rien posséder. Je me rappelle bien de cette nuit, la veille de son enterrement. J’ai menti à mon pauvre frère en prétendant que je n'avais pas un rond, lorsqu’il était venu me demander de l'argent pour couvrir les autres dépenses, alors que j'avais un compte de devises françaises.

Aujourd'hui, je souffre de ma haute trahison. Et devant tout ce lot de sacrifices, des individus osent d'une facilité révoltante me demander de quitter le sol français. J'avais menti, comme tous les sans-papiers qui n'arrêtent pas de mentir. À présent, je refuse de vivre dans la marge de la société et d'être obligé de me mentir. Qu’ai-je fait ? J’ai perdu ma jeunesse avant même de pénétrer dans cet Hexagone protégé comme la cité interdite. J’ai misé tous mes espoirs sur demain, sans que jamais ce jour ne vienne.

En surplus de mes anciens échecs, tourments et supplices, je viens à nouveau d'être coupable d'un crime atroce. Un événement malheureux s’est produit que je n’ai jamais programmé. Croyant et confiant, je n’imaginais pas Dieu capable d’une telle cruauté. Aujourd’hui, je me demande si la France méritait tous ces sacrifices.

Je ne supporte plus les fatwas, les condamnations, les préjugés et cet index pointé vers moi. Ces regards qui me dévisagent… Je ne supporte plus qu'ils me traitent de clandestin. Je ne supporte plus la pitié des Blancs envers les Africains. Je ne supporte plus d'entendre les Français appeler à la sauvegarde de l'Afrique. Je ne supporte plus de voir les Parisiens sourire à un petit enfant noir dans sa poussette. Qu'ils arrêtent de parler de l'Afrique, de sa savane et des ses animaux sauvages. Kirikou ! Encore une oeuvre de l’esprit occidental pour évoquer l'Afrique. Pourquoi les Occidentaux veulent-ils nous maintenir dans cette image d'homme dépendant ? Et pourquoi dans ce film animé Kirikou est-il nu ? Ils pouvaient lui mettre une couche Pampers. Même au célèbre marathon de Paris, les Français ne résistent pas à montrer leur générosité envers l’Africain. Avant le lancement du marathon, sur France 3, ils ont montré ce coureur africain heurté par un bus. Il a été gâté par les cadeaux. Les Français insistent à faire croire que les Africains sont pauvres. Le pauvre coureur africain muet était bluffé par la générosité blanche. Mais jusqu'à quand devrons-nous supporter ce faux-semblant de générosité ? Le délit de solidarité envers les sans-papiers existe-t-il ? Encore un sujet qui ouvre les débats sur tous les fronts médiatiques. Les Français se débattent encore, alors que des hommes souffrent dans l’anonymat et dans l’indifférence. Je suis de ceux qui se moquent de la générosité française. Au lieu de trouver de réelle solution à notre situation inhumaine, les Français, le collectif des associations et les journaliste s’interrogent : faut-il punir les Français qui aident de bonne foi un étranger en situation irrégulière ? Monsieur Yves Calvi sait très bien qu’offrir des blousons aux Afghans de Calais ou envoyer ses fripes à Madagascar ne résoudra aucun problème. De plus, les Français n’ont dans la bouche que cette phrase : «il faut sauver l'Afrique». Sauver la terre noire de qui ? Les Africains sont-ils une menace chez eux ? Même les handicapés français, pour tester leur force physique, sont partis affronter le Kilimandjaro. Ne y a-t-il pas assez de montagnes en France ? Les handicapés français auraient pu aller affronter le Mont blanc. Je n'ose même pas évoquer la dérive des membres de l'arche de Zoé. Déjà libérés et blanchis. Il est donc plus facile de condamner un Noir qu'un Blanc ?

Je ne tiens pas des propos racistes. Je constate que les Français ne savent plus vivre sans les Africains. Le sujet des clandestins ne se réglera pas, tant que les Français s'immisceront dans nos affaires. L'insupportable était de voir des Français ramasser de la merde. Un français pauvre est plus choquant qu'un Africain pauvre.

 

        Ecrit en 2009

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